vendredi 18 janvier 2008

Control - Anton Corbijn

« Il a changé l’histoire du rock, sans le vouloir, sans le savoir. » Ces mots, vous avez pu les lire un peu partout en septembre dernier, en croisant les affiches du premier long-métrage d’Anton Corbijn consacré à la vie de Ian Curtis, leader mythique du groupe anglais Joy Division dont le succès fut triomphal à la fin des années 70. Le 18 mai 1980, à la veille de la tournée mondiale qu’allait entamer le groupe, le jeune chanteur s’est suicidé. Inutile de préciser que le défi était haut à relever pour Anton Corbijn, photographe connu notamment pour ses clichés de David Bowie, U2 ou encore Miles Davis. Passer de l’objectif à la caméra n’était donc pas le plus facile des challenges, surtout quand il s’agissait d’adapter une biographie, si intense et si passionnante soit-elle, sans tomber dans le cliché, dans le tragique, voire même dans le sensationnel. Certes, la caméra n’était pas un objet tout à fait inconnu à Anton Corbijn puisque ce dernier a réalisé de nombreux clips (Depeche Mode, Johnny Cash, et même Atmosphere de Joy Division), mais le projet était délicat, l’entreprise était risquée, les attentes difficiles à satisfaire. Et c’est avec une classe bouleversante qu’Anton Corbijn nous plonge dans l’univers musical fascinant et torturé de Ian Curtis. Car comment rendre à l’image ce qui était transmis jusque là par des mots et des mélodies ? Comment représenter à l’écran toute la force musicale de la Cold Wave, dont Joy Division a été le groupe fondateur à la fin des années 70 ? Et pourtant, c’est bien sur cette problématique que se construit toute l’originalité, la modernité et plus largement toute la magie de Control, qui surprend par son esthétique et par sa maîtrise de la caméra.

Tout d’abord, Corbijn a choisi une image en noir et blanc, qui fait particulièrement bien ressortir l’atmosphère froide et torturée des mélodies du groupe, mais aussi l’atmosphère minière des villes du Nord de l’Angleterre comme Manchester (et sa banlieue, dont Macclesfield fait partie.) C’est ensuite l’utilisation des gros plans qui permet à Control de tirer son épingle du jeu : que d’images focalisées sur le visage de Ian Curtis (incarné par Sam Riley), et qui pourtant restent d’une pudeur extrême et d’une justesse bouleversante ! Que les silences que nous inflige Corbijn - sur lesquels vient se poser la voix du poète Curtis - contrastent avec la pensée musicale du film, comme pour en retirer la vérité la plus subtile et la plus fondamentale : « When you're looking at life in a strange new room, maybe drowning soon, is this the start of it all ? » (Exercise One).

Et ce qui importe dans tous ces moments, c’est que Ian Curtis nous parle. Bien sûr qu’il est évident que le jeune homme était tourmenté, qu’il était déchiré entre raison et désir, il suffit de lire ses textes pour s’en rendre compte. Mais au-delà de l’aspect strictement psychologique et biographique, qui est brillamment mis en scène dans le film, c’est bien plus loin qu’il faut aller en chercher l’intérêt : Control est un pavé dans l’histoire de la musique parce qu’il reprend en chœur tous les classiques du rock des années 60 et 70 et par ce biais, redessine l’ambiance musicale de ces années là. Les années qui nous sont montrées au début du film, celles de l’adolescence de Curtis – avant sa rencontre avec Deborah -, sont tout aussi importantes dans le sens où elles mettent en scène la façon dont la musique était considérée à cette époque, en particulier chez les jeunes. Le fait de voir Ian Curtis allongé sur son lit et écouter David Bowie ou encore Iggy Pop tout en fumant une cigarette parait assez anodin, mais c’est tout un aspect culturel qui refait surface. Musique comme échappatoire, comme rébellion, comme moyen de se distinguer de ses parents également, le fait de jouir de la musique pour ce qu’elle est et ce qu’elle nous apporte au sein de notre parcours personnel (qu’il y a-t-il de plus significatif que de voir les écrits de Curtis dispersés sur son bureau, près de son tourne-disque ?), tout cela est significatif d’une époque et possède une valeur. Cela nous permet de comprendre quelle différence Joy Division a fait dans l’histoire de la musique. Pourquoi est-ce que de nos jours, cette façon de jouir de la musique est en train de disparaître pour laisser place à une musique toute prête, consommée dans l’instant, en attendant qu’une autre se hisse en tête des ventes le jour suivant, et ainsi de suite ? Pourquoi est-ce que des jeunes ont marqué une époque en s’affranchissant de leurs influences, et créant leur style propre pour ensuite partir à la conquête du public ? De nos jours, on ne retient de la musique que son aspect glorifiable : on veut créer des stars, les propulser face au public. C’est une véritable claque musicale que nous donne Control, nous mettant ainsi devant le fait accompli : il y a un jeune homme qui, un jour, a osé écrire : « Existence well what does it matter ? I exist on the best terms I can, the past is now part of my future, the present is well out of hand. » (Heart and Soul)Et Corbijn de nous rappeler, sur une reprise de Shadowplay par The Killers en tant que générique de fin, que la jeunesse est éternelle quand il s’agit de musique.

mardi 15 janvier 2008

Le Projet Andersen - Robert Lepage

Deux ans après la Trilogie des Dragons, Robert Lepage investit une nouvelle fois le Théâtre de Chaillot à Paris pour y présenter sa dernière création, Le Projet Andersen. Dans un monologue joué par le brillant Yves Jacques, le metteur en scène combine à la fois virtuosité du texte et maîtrise des effets techniques.


Une succession de personnages, comme un sentiment de schizophrénie. Trois personnages différents qui défilent sur scène et pourtant toujours le même acteur, Yves Jacques. D’abord, Frédéric Lapointe, un metteur en scène Québécois fraîchement débarqué à l’Opéra de Paris pour fabriquer le livret d’une œuvre lyrique adaptée de la Dryade, un conte de l'écrivain danois Hans Christian Andersen. Puis, Monsieur de la Gambretière, le directeur artistique de l’Opéra, caricature vivante, élément déclencheur des premiers fous rires de la salle. Et enfin, Rachid, un jeune Magrébin toujours revêtu de sa capuche, qui grave le symbole Anarchiste sur les arbres. Le tout entrecoupé par des scènes narratives et poétiques, où le conte de la Dryade est raconté de façon traditionnelle.

C’est une pièce rythmée qui se déroule sous nos yeux : alors que les personnages défilent sur la scène, les décors en font autant. Cabines de sex-shop, un café près de l’Opéra, le Bois de Boulogne, ou encore une vue sur le paysage Parisien. On assiste à un véritable déploiement d’effets techniques qui glissent automatiquement les uns après les autres sur la scène devant les yeux ébahis du spectateur. Par cette maîtrise technique, Robert Lepage affirme sa volonté de s’inscrire dans un théâtre moderne et complexe, qui exploite toutes les possibilité que la scène lui offre. Mais pas sans risque : on a parfois l’impression d’assister à une démonstration d’effets techniques, sauvée de justesse par l’extrême sensibilité dégagée par l’œuvre ainsi que le caractère poétique qui émane du conte pour enfants. Car si la succession de tableaux peut gêner un moment le spectateur, ce dernier ne peut que s’en réjouir durant les scènes narratives tant l’esthétique est réussie.

Cependant, Robert Lepage se plait à entretenir différents contrastes en alternant scènes poétiques et scènes dites « modernes » comme c’est le cas du générique d’ouverture où sur fond de musique rap, le personnage de Rachid tague virtuellement le portrait d’Andersen sur l’écran, ou encore la scène où ce dernier s’arrête à la station de métro Invalides, pour y taguer un slogan déjà culte : « Invalides mais pas sans valeur. » Une poésie marginale mais qui a son petit effet sur le spectateur, qui retiendra sans aucun doute cette formule pour en faire la maxime de toute une époque.

A cela s’ajoute l’excellente performance d’Yves Jacques, dont l’aisance se révèle au fur et à mesure que la pièce avance. Le spectateur est tout particulièrement interpellé par son accent québécois, qu’il perd en jouant le rôle de Monsieur de la Gambretière, à tel point que deux acteurs différents semblent défiler sur scène. Une maîtrise parfaite de la langue, complétée par une gestuelle tantôt maladroite, tantôt sensuelle, qui ne cesse de nous surprendre, de nous étonner, de nous transporter.

« Le voyage spatio-temporel » du Projet Andersen nous emmène très loin dans la fiction et la réalité. En mêlant plusieurs époques, plusieurs narrations et plusieurs personnages, tout en gardant une ligne directive bien définie grâce à la présence d’un seul acteur et de l’univers d’Andersen, Robert Lepage nous fait prendre conscience de la puissance du récit.

 
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